16/05/2017
Le risque, toute une histoire
Qu’est-ce que le risque ? Où est-il né et quels rapports entretient-on avec lui ? Autant de questions auxquelles Luc Arrondel, Directeur de recherche au CNRS et professeur à l’École d’Économie de Paris, a accepté de répondre.
Le risque est né à Saint-Pétersbourg
Pour mieux comprendre la notion de risque chez les économistes, il faut remonter au milieu du XVIIIème siècle et la mise en évidence du paradoxe de Saint-Pétersbourg. Son principe simple soulève le comportement paradoxal des êtres humains qui, face à un jeu avec une espérance de gain infinie, refusent d’y jouer beaucoup d’argent malgré les fortes possibilités de gagner. Dans ce cas, la question n’est pas mathématique mais comportementale. C’est Daniel Bernoulli, mathématicien suisse qui le met en évidence. Pour la première fois l’aversion au risque est donc clairement identifiée et reconnue, marquant les recherches ultérieures.
« Riscophile » ou « riscophobe » ?
Au cours de l’histoire, les économistes n’ont pas été les seuls à s’intéresser à la question épineuse du risque et de ses impacts sur les comportements. « Aux yeux du sociologue Robert Castel, en évoluant dans des sociétés avec une protection collective et sociale très développée, les individus supportent de moins en moins de risques, ce qui peut paraître comme paradoxal ».
Un autre point de vue est lui à prendre en compte, celui de Denis Kessler et de François Ewald. Ils divisent la société en deux classes : les « riscophiles » et les « riscophobes ». Les premiers, porteurs de l’esprit d’entreprise, accepteraient d’affronter les défis d’aujourd’hui tandis que les seconds – trop « frileux » – chercheraient au contraire à s’en protéger.
L’épargne et le sport, terrain de jeu du risque
Pour comprendre les comportements financiers face au risque, trois dimensions sont à prendre en compte : la situation financière présente, les préférences face au risque et les anticipations vis-à-vis du futur. Chacune de ses dimensions du risque sont à prendre en compte pour analyser un en particulier. On appelle ceci l’exposition au risque. Spécialisé dans les comportements d’épargne, le Directeur de recherche cite l’exemple des individus subissant des risques importants sur le marché du travail. « Dans ce cas de probabilités de chômage fortes, on observe un investissement beaucoup plus prudent en matière financière. Nous appelons cela la tempérance, qui est le désir de modérer le risque global par un comportement de diversification ».
Autre exemple dans le domaine des sports extrêmes, où les sportifs vont sans doute prendre davantage d’assurances sur le plan familial. Une différence va cependant être faîte entre risque subi et risque choisi. Le premier est une variable sur laquelle nous n’avons aucun contrôle, tandis que le deuxième dépend de ses préférences personnelles vis-à-vis du risque pour la gestion globale de ce dernier.
Dans ce cas de probabilités de chômage fortes, on observe un investissement beaucoup plus prudent en matière financière. Nous appelons cela la tempérance, qui est le désir de modérer le risque global par un comportement de diversification
« L’aversion au risque n’a pas changé avec la crise »
L’histoire du rapport au risque connaît un nouveau chapitre en 2008, au moment de la crise économique et financière. « Nous avons en effet observé que le nombre d’actionnaires individuels a diminué en France de 50% en moins de 10 ans. Au niveau européen, on observe également une désaffection des épargnants pour les produits risqués. » Les individus seraient-ils plus averses aux risques depuis la crise ? Luc Arrondel préfère se demander si ces comportements ne pourraient plutôt pas être expliqués par un désintérêt de la Bourse lié à une anticipation de prime de risque faible. «L’exposition au risque des individus est simplement plus forte, les rendant plus pessimistes vis-à-vis de leur environnement financier. Pour que les gens changent en matière de préférences, il faut beaucoup plus de temps puisque leurs préférences se développent en général au cours de l’enfance. »