07/12/2017
Millennials, vers un rapport au travail plus authentique ?
Digital natives, ultra-connectés, souvent caractérisés comme moins engagés vis-à-vis de leur entreprise, les millennials intriguent. Quelles sont leurs spécificités ? Leurs attentes ? Sont-ils, au fond, si différents de leurs aînés ? Aux yeux de Serge Perrot, professeur à l’Université Paris Dauphine spécialiste en Stratégie de management et en Ressources Humaines, les « jeunes du millénaire » ne demandent qu’à s’épanouir en trouvant un sens à leur job.
« Si les jeunes trouvent un sens dans leurs missions, ils seront prêts à s’engager à 100% »
« La révolte des premiers de la classe », la quête du sens
Les millennials, Serge Perrot les côtoie tous les jours lorsqu’il donne ses cours à l’Université Paris Dauphine. Une proximité qui lui a permis de constater que la jeune génération a un rapport à la carrière différent des générations précédentes. « Elle est vue de manière plus ouverte, comme une succession de ‘kiffs’ à court terme, sur des projets spécifiques. » Pour le professeur, les étudiants recherchent avant tout des projets intéressants, qui vont donner un sens à leur activité. « Le livre ‘La révolte des premiers de la classe’ donne une petite idée du phénomène. » L’ouvrage évoque des élèves d’HEC plaquant tout pour se lancer dans une carrière de boulanger, de fromager, d’artisan… Une volonté d’exercer des métiers manuels, avec la possibilité de créer et d’avoir un impact visible sur la société.
Si « la révolte des premiers de la classe » n’a pour l’instant été observée que sur une poignée de jeunes disrupteurs, la quête de sens est commune aux millennials. Une règle d’or, de laquelle dépend en grande partie leur engagement. « Si les jeunes trouvent un sens dans leurs missions, ils seront prêts à s’engager à 100% ». Le rapport à l’entreprise change. Ayant évolué dans un contexte de crise, de chômage de masse et d’instabilité de l’emploi, les millennials sont sans doute « moins naïfs » que la génération précédente, et ont un rapport plus « mature » à l’entreprise. Leur engagement se déploie sur plusieurs territoires, bien au-delà de ce que serait une vision trop étroite d’un engagement vis-à-vis d’une entreprise : il peut s’agir d’autres domaines et notamment le contenu du travail, la mission, les potentiels collègues… et cherchent l’emploi qui correspondra le mieux à leur personnalité et à leurs valeurs.
L’adéquation individu-poste-autonomie, une formule gagnante
Si les millennials portent leur attention sur tous ces aspects, entreprise/travail/potentiels collègues, c’est pour limiter les « tensions de rôle ». Autrement dit, une trop grande différence entre l’individu, ses attentes, ses valeurs, ses qualités et l’entreprise, les missions, la charge de travail et les relations entre collègues. Résultat de cet écart : un décalage ainsi qu’un désengagement de l’individu. Pour prévenir ce genre de « tensions » aucune formule magique, si ce n’est une sincérité de l’entreprise sur ses valeurs, ses attentes, et sa manière de travailler.
Pour Serge Perrot, les jeunes n’ont pas un modèle ou une culture en particulier en tête. « Nous sommes tous différents, avec nos caractères et aspirations propres. » L’idée est simplement de trouver le modèle qui correspond à chacun, ce qui doit orienter les politiques d’image employeur vers une certaine transparence et authenticité.
La quête de l’épanouissement des millennials se joue sur le plan professionnel et personnel, intimement liés pour cette génération. Grandir avec le digital, c’est évoluer dans l’instantanéité, l’accès 24/7 aux emails et avoir son réseau d’amis dans sa poche. « Il existe finalement une vraie porosité entre la vie professionnelle et personnelle », explique Serge Perrot. Pour illustrer son propos, le professeur cite un exemple vécu avec ses élèves, qui répondent instantanément à ses emails envoyés « même à 22 heures. » Habitués à constamment jongler entre l’une et l’autre vie, les jeunes se veulent donc autonomes sur la gestion de ces vies « deux-en-une ». « Je dirais même que c’est leur seule revendication. » Pour le reste, ils sont semblables à leurs aînés. Peut-être s’expriment-ils simplement plus. Serge Perrot prend pour exemple la demande de reconnaissance des jeunes, souvent jugée comme plus importante que chez leurs aînés. « Demandez à un quadragénaire s’il se moque d’être félicité pour son bon travail… vous verrez qu’à tous les âges, nous avons besoin de reconnaissance ! »
Dans ce contexte, l’enjeu va donc être pour les entreprises de trouver les bonnes pratiques pour intégrer et surtout garder les jeunes talents. Cela, en veillant à limiter au maximum les « tensions de rôle » afin que l’expérience soit une réussite à la fois pour le salarié et pour l’entreprise.
Intégration, stop à la boulimie d’informations
Intégrer et fidéliser les talents sont au cœur des grandes problématiques des entreprises. Habitué à travailler avec les jeunes, Serge Perrot apporte très souvent son aide aux sociétés souhaitant maximiser leurs chances de réussir leur processus d’intégration. Pour le professeur, le secret est de prendre en compte « l’horizon » et « le temps sur lequel on veut raisonner ». L’intégration sera donc différente en fonction du type d’entreprise, des missions et bien sûr du type de contrat (court ou long). Serge Perrot se rappelle avoir travaillé avec une entreprise qui jusque-là basait son intégration sur une seule journée.
Au cours de cette journée d’intégration, les dirigeants présentaient leur métier. « Ce trop grand comité limitait la possibilité de créer des liens. » Sans compter le trop plein d’information distribuée en une journée. Afin d’intégrer pleinement les nouveaux collaborateurs à l’entreprise, Serge Perrot recommande plutôt de penser les dispositifs dans le temps et autour d’objectifs concrets.
Une fois la phase d’intégration passée, le challenge va être de réussir à donner du sens aux missions effectuées et au rôle du salarié au sein de l’entreprise. Le professeur cite Antoine de Saint-Exupéry : « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur dire de taper des clous sur les planches de la coque. Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer. » Un excellent moyen de répondre à la quête de sens des jeunes, et de leur donner envie de s’engager sans réserve.